de cinéma

Il ne faut pas confondre cinéphile et cinéphage. On pourrait presque soutenir que les deux mots sont antinomiques.

Si la seule chose que vous faites devant un film, c'est de le regarder, puis de le cataloguer dans la catégorie des “bons divertissements”, en attendant la sortie imminente du tout nouveau Marvel qui vous apportera votre prochaine dose d'épique (un mot qui s'emploie à toutes les sauces, de nos jours) et occupera deux heures de votre vie, entre quelques moments de bravoure, deux trois éclats de rire et une musique qui décoiffe, vous n'êtes pas cinéphile, vous êtes cinéphage.

Pour le cinéphage, le cinéma est simplement une forme de nourriture, mais pas n'importe laquelle. Ça tend plus vers la malbouffe que vers la haute cuisine. Les films sont des plats rapidement avalés, rapidement digérés. L'important, c'est qu'ils soient bons sur le moment, mais même ça est optionnel: il y aura toujours de toute manière un autre plat qui attend derrière. En ce sens, le cinéphage mange beaucoup, énormément de films. Il en voit passer des dizaines, des centaines, sur son ordinateur, téléchargés illégalement avant d'être regardés puis effacés. Car le cinéphage ne fait pas dans la durée. Aussitôt vus, aussitôt éliminés. Il faut faire de la place pour les prochains.

On pourrait croire que le cinéphage essaie simplement, à sa manière, d'aborder l'éternel problème qui fait que toute une vie ne suffira pas pour regarder tous les films qui sont sortis, qui sortent et qui vont sortir. Il y en a tellement, tout le temps. Le cinéphage, au fond, ne serait qu'une sorte d'idéaliste qui cherche à tout savoir, tout voir, avant qu'il ne soit trop tard.

Ne nous berçons pas d'illusions, cependant. Le cinéphage est avant tout une pure machine de consommation. Sa faim de cinéma est moins liée à une réelle curiosité et passion envers le medium qu'à un simple moyen de passer le temps devant des œuvres au pire divertissantes, au mieux carrément géniales (il est amusant de constater à quel point les films vus par un cinéphage ne sont classés qu'entre ces deux bornes, peut être complété avec le consensuel “ouais bof”) le temps d'une projection, afin d'en prendre plein les yeux, rire un bon coup et avoir de quoi discuter après avec ses autres amis cinéphages qui ont également vu les mêmes films.

C'est un peu comme si ils mangeaient tous ensemble au même Mc Donald’s, et parlaient de la taille des burgers et du goût des frites en sortant. Autant de sujets qui seront oubliés quelques jours après, si bien qu'il ne reste au final qu'un vague consensus plus ou moins construits sur les campagnes commerciales des films et l'opinion qu'en ont les êtres qui composent notre groupe social et vers lesquelles on se tourne pour avoir leur approbation et la reconnaissance de notre existence.

Tu as vu ce film? Ah ouais, il est bien.

Et celui-là? Oh regarde-le, il est excellent.

Il y en a un nouveau qui va bientôt sortir, faudra qu'on aille le voir, ça a l'air cool.

Autant de phrases qui font de vous un cinéphage, mais certainement, définitivement pas un cinéphile.

Il n'y a rien de mal à être cinéphage.

Sachez juste ce que vous êtes, et ce que vous faites.

Emprunter un mot et son sens pour essayer d'élever la valeur de vos actions est vain, surtout lorsque par la suite vous êtes incapable de comprendre en quoi l'angle choisi pour ce plan-séquence en particulier donne du sens à ce qui est montré ou que votre mémoire (ou devrais-je dire bibliothèque ?) cinématographique montre des signes de fatigue dès qu'on va en-dessous des années 1990. Avant 1980, c'est carrément le gouffre. Avant 1960, le cinéma existait-il déjà ? Question difficile.

Le cinéphile aime le cinéma.

Le cinéphage regarde du cinéma.

 
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