des tweets qui n'engagent que vous

Sur Twitter, cette expression fleurit ici et là, bien souvent dans les mini-biographies, et plus particulièrement dans celles des journalistes, chargés de communication et tout autre métier qui consiste à parler pour un autre, communiquer quelque chose qui ne viendrait pas de nous-mêmes. Des gens-transmetteurs, je les appelle.

Avec cette expression, “Mes tweets n'engagent que moi”, et tout ses dérivés, l'individu derrière cette phrase cherche à se dissocier de l'entreprise pour laquelle il travaille, afin de ne pas lui porter préjudice. Ainsi, tout ce qu'il pourra bien écrire sur Twitter ne sera pas le reflet des positions de son patron. Dans un sens, le transmetteur qu'il est durant son travail disparaît pour laisser place à l'émetteur, la source première d'expression; désormais, tout ce qu'il dira viendra véritablement de lui.

Dans un autre sens, dire que les tweets n'engagent que vous revient à dire “j'ai récupéré ma capacité à m'exprimer par moi-même, vous seriez dans l'erreur de croire que je suis encore un transmetteur concernant ces messages”. Je veux bien, j'entends bien, mais la méthode m'interpelle quelque peu.

Tout d'abord, si vous ne vouliez pas être pris pour un transmetteur en premier lieu, peut-être n'aurait-il pas fallu préciser que vous en étiez un ? Il y a une étrange dichotomie dans toutes ces mini-biographies qui mélangent à la fois la mention du métier exercé et le patron qui vous emploie avec la mention qui dit que vous reprenez votre liberté. Pourquoi donc mentionner le métier et le lien avec votre entreprise ? A moins de tomber face à un abonné particulièrement tenace, qui chercherait à savoir absolument d'où vous venez et pour qui vous travaillez ? Qui aurait fait le lien entre vous et votre hypothétique métier de transmetteur pour une grande chaîne d'information ?

Dans cette dualité qui occupe l'espace de la mini-biographie, entre d'un côté “Journaliste chez Untel” et de l'autre “Mes tweets n'engagent que moi”, il me semble voir un désir d'avoir le beurre et l'argent du beurre. Ou alors de vouloir être discret tout en criant sur tous les toits. Je ne sais pas, quelque chose cloche dans cette manière de présenter les choses, il y a un ego qui me semble mal placé et surtout une volonté de ne jamais se séparer de chacune des ses identités. Je suis journaliste chez quelqu'un voyez-vous, un métier respectable, un rôle important, mais par contre ne liez pas mes tweets à ma profession, ça non, quand bien même je viens tout juste de vous préciser que j'étais journaliste, vous ai-je déjà dit que j'étais journaliste ?

D'un autre côté, les êtres humains étant ce qu'ils sont, il sera pratiquement impossible de ne pas trouver des cas où certains se feront un plaisir d'associer votre métier et votre entreprise à vos propos personnels. C'est presque systématique. Imaginez que vous formuliez une pensée peu politiquement correcte, et aussitôt quelqu'un dans la foule s'empressera de mettre ça sur le compte de la ligne éditoriale du journal pour lequel vous travaillez, ou quelque chose comme ça. En ce sens, “les tweets qui n'engagent que vous” est une formule qui cherche à vous protéger et protéger votre patron, et c'est compréhensible, mais l'effort est vain, voire divisé en deux si vous-mêmes ne vous rendez pas compte de l'absurdité de mentionner où vous travaillez alors que vous cherchez justement à rester vous-même, en tant qu'émetteur et non transmetteur.

Ayez un peu d'humilité, oubliez votre métier, essayez donc de vous définir par ce que vous êtes, et non pour qui vous travaillez, cela vous évitera de devoir préciser que vous pouvez, vous aussi, exprimer des choses par vous-mêmes. Devoir écrire “mes tweets n'engagent que moi” pour retrouver la fonction même de s'exprimer librement, c'est un peu triste.