du jeu vidéo résigné

Comment appelle-t-on quelqu'un qui lit ? Un lecteur, une lectrice, voilà pour le premier palier, mais ensuite, qu'en est-il pour désigner ceux qui font plus que lire, ceux qui adorent le medium de la littérature, s'épanouissent dedans et possèdent une bibliothèque remplis d'ouvrages mystérieux ? Rat de bibliothèque, bibliophile, dévoreur ou dévoreuse de bouquin, voire même bouquineur/bouquineuse: on a de jolies expressions pour celles et ceux qui embrassent les livres et en ont toujours un à leur chevet.

Pareillement, nous avons cinéphile pour le cinéma, sans doute le mot le plus expressif pour ceux qui aiment ce medium. On ne peut pas faire plus court ni mieux. Ciné d'un côté, philos de l'autre φίλος “philos” (ami). Il y a aussi l'habitué(e) du grand écran, l'abonné(e) des salles obscures. Autant d'expressions qui tournent autour de l'activité même d'être au cinéma et de regarder des films sans pour autant porter l'accent sur l'acte en lui-même.

Qu'en est-il pour le jeu vidéo ? Eh bien, c'est le désert lexical.

On a la solution de facilité, qui est de tout simplement transposer le terme anglais gamer. C'est probablement le mot sous lequel se rallie tout individu qui estime aimer les jeux vidéo désormais. Gamer. Quel mot affreux. Sans parler même de l'absurdité d'utiliser un mot anglais quand il existe déjà son équivalent, joueur, en français, quel sens a ce mot ? Que signifie-t-il ?

C'est le niveau zéro dans la description, c'est purement superficiel. On joue à des games, alors nous sommes des gamers. C'est un peu comme si on disait: je lis des livres alors je suis un lecteur. Voilà. Soit, certains lecteurs se revendiquent comme tels. Mais tout de même. Triste, non ?

Pour rendre le tout encore plus triste, il suffit de plonger en profondeur, et découvrir les séparations qui semblent se créer au sein des gamers, des joueurs. A nouveau, tout est en anglais, même si le français pointe timidement son nez.

La première fracture est issue des grands esprits du marketing et de la publicité, qui ont rapidement instillé dans l'esprit des gamers qu'il y avait des hardcore gamers, les vrais, les durs, ceux qui jouent à des vrais jeux et les casual gamers, ceux qui agitent la Wiimote devant leur télé et font du jeu vidéo en pantoufles. Comment quelqu'un peut-il se reconnaître dans le terme hardcore ? En quoi ce terme est-il valorisant, positif, au point de le revendiquer haut et fort ? Savez-vous ce qui est hardcore ? Certaines branches dans la musique, la pornographie et le catch.

C'est un peu comme si aimer jouer aux jeux vidéos signifiaient automatiquement:

1) jouer à des titres difficiles et suer sang et eau pour prouver qu'on a une bonne paire entre les jambes, littéralement ou métaphoriquement

ou alors,

2) jouer des heures et des heures, ce qui devient vite impossible à concilier avec un travail, une famille, une vie.

Dès lors, un hardcore gamer, ou joueur acharné/extrême, qui voudrait être le modèle de celui qui goûte aux plaisirs du jeu vidéo se retrouve n'être que la caricature du consommateur compulsif qui n'a que trop de temps libre dans ses mains et ne sait quoi en faire, ce qui le pousse à jouer à des jeux qui parasitent l'esprit pour des centaines d'heures, de par leur difficulté ou leur construction volontairement rallongée afin de rendre le joueur complètement dépendant.

De l'autre côté, qu'avons-nous ? Casual gamers. Rien que le choix des mots rend le tout connoté négativement. Tout ce qui casual est médiocre, par définition (et je prends médiocre dans sa vraie définition, c'est-à-dire moyen). La passion, c'est justement ce qui occupe beaucoup d'espace, ce qui nécessite beaucoup de temps et d'argent. La passion pour un medium ne souffre pas de demi-mesure. Impossible donc à première vue d'être un casual gamer et d'aimer profondément les jeux vidéo, même si j'aurais bien mon mot à dire à ce sujet-là, mais nous ne sommes pas là pour ça.

Non, si j'écris ce petit billet aujourd'hui, c'est pour réfléchir ensemble et essayer de trouver un mot un peu plus gratifiant pour désigner ceux qui sont passionnés par le medium vidéo-ludique. Arrêtons ce gamer vide sémantiquement parlant. Oublions les étiquettes d’hardcore et de casual. Comment pouvons-nous nous définir au-delà de ça ?

La traduction en joueur ne règle pas le problème, c'est toujours aussi vide et ambigu. On est également joueurs de cartes, de jeux de sociétés.
Que pourrions-nous dire ?

Certains sites anglais commencent à utiliser le terme ludophile, qu'on peut tout à fait transposer dans notre langue à l'identique. Ludophile. Ça rappelle le cinéphile et le bibliophile, et permettrait de compléter la grande famille des gens passionnés. Personnellement, j'aime bien ce terme. Il y a un je-ne-sais-quoi d'élégant dans le mot. Tout en retenu. Par exemple, je n'imagine pas quelqu'un qui se qualifie de ludophile faire du grinding pendant 500h sur un MMO chinois fade et sans saveur comme il en existe des dizaines sur le marché.

La difficulté réside dans l'origine de l'expression jeu vidéo, qui combine à la fois le jeu, et toutes ses significations, et la vidéo, qui est son support original. Que pouvons-nous construire à partir de quelque chose qui est déjà une construction de deux termes ? En choisir un et ignorer l'autre, ça ne reflète pas entièrement le medium. Ludophile pourrait être ambigu, si on revient plus particulièrement à ceux qui jouent aux jeux de sociétés. Je ne vois pas d'objections à ce qu'ils s'appellent ludophiles eux aussi.

Quid de la vidéo ? Pourrions-nous utiliser l'adjectif vidéo-ludique et essayer d'en tirer quelque chose ? Il me semble que le mot est déjà bien trop long et complexe en l'état. Le triturer encore plus ne le rendrait que difforme et définitivement repoussant. A mon avis, personne ne se plairait à s'appeler un vidéo-ludophile ou un joueur vidéo-ludique, ou bien un vidéo-ludeur, ou n'importe quel néologisme construit sur cette base.

Je n'ai pas véritablement de solutions à cette question, mais il me semble qu'y réfléchir est déjà une étape importante pour mieux nous définir, nous qui aimons les jeux vidéo plus que de raison et voulons être plus identifié par notre passion que par notre pratique et notre consommation mercantile de ces œuvres.

 
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